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Les petites lettres

Les petites lettres

Petites histoires de gens ordinaires et extraordinaires par Odile Lasmarrigues


Invisible

Publié par Odile Lasmarrigues sur 21 Septembre 2015, 19:08pm

Catégories : #Société

Regarde-moi.. S'il te plaît, regarde-moi dans les yeux, au moins une fois.

Donne-moi le sentiment d'exister pour quelques minutes, juste un regard fugace, ne me parle même pas, mais regarde-moi.

Plonge ton regard dans mes yeux et ne tourne pas la tête cette fois.

Assis contre ce mur, je suis inoffensif. Je ne vais pas te salir, je ne vais pas te prendre ce qui t'appartient... je veux juste me sentir vivant, moins misérable, moins seul.

Je te vois passer tous les jours devant moi. Je ne vois que tes jambes, tes chaussures. Je reconnais ton pas, ta silhouette me semble familière. Des mois que tu passes devant mon banc avec tes courses, ta poussette, ou bien ton mari.. Tu as une vie parfaite ? Tant mieux pour toi. Mais ne dénigre pas les autres, ne pavane pas ainsi .. Reste humble, tu n'es pas plus respectable que moi.

Je n'attendais qu'un sourire de toi, qu'un élan du cœur, je n'attendais pas de pièces de ta part.

Pourtant, ramasser quelques pièces est devenu le seul but de ma journée . Quelques pièces pour dormir au chaud, un peu de monnaie qui sonne dans le creux de mes mains et qui me redonnent l'espoir d'une soirée moins lugubre.

Tu sais, tu n'as pas à me juger... Tu ne connais pas ma vie.. Tu ne sais pas quels ont été mes combats, mes luttes, mes joies, mes réussites...

Prends garde à toi quand même... Moi, je ne me suis pas vu dégringoler. J'ai eu mes casseroles, quelques mauvaises rencontres et puis un jour, on perd son travail, on perd sa famille et on finit par perdre le reste.

Longtemps j'ai lutté pour garder ma dignité, pour ne pas me donner en pâture aux regards réprobateurs de la société. Non, je ne suis pas un poivrot qui mérite ce qui lui arrive. Je ne suis pas un homme mauvais, on m'a admiré avant.... Mais voilà, quelques années sur le bitume m'ont ôté la rage de lutter, je n'y arrive plus.. Comment veux tu que je remonte la pente si même toi tu ne me considères pas plus qu'un parasite?

Voilà ce que je suis pour toi... un parasite ... Tu aimerais certainement que quelques lois m'interdisent de m'assoir sur ton passage, que quelques aménagements urbains bien choisis étouffent ta culpabilité, .. et bien non, je fais parti du paysage moi aussi.

Puisque plus personne ne me regarde, alors je vais cesser moi aussi de m'estimer. . C'est si facile de se laisser couler... De s’anesthésier à coup de bouteilles. Dans mon monde à moi, c'est la loi du plus fort, la loi de la démerde. Il y a toujours plus cabossé que soi.

C'est dur tu sais.. C'est très dur de ne pas trouver une bonne raison de se foutre en l'air.

Si seulement tu pouvais t'assoir près de moi, partager mon trottoir le temps d'une discussion... Je te promets que je ne te ferai pas peur, je veux juste sentir une présence près de moi. Partager une conversation, partager un morceau de pain, partager ce qu'il nous reste d'humanité dans ce monde matérialiste où les faibles sont laissés de coté..

Mais toi, tu t'en fiches, ce n'est pas ta faute si je suis là. Toi, tu fais tout comme il faut, tu cotises, tu épargnes, tu fais en sorte que tes enfants ne manquent de rien... Je suis sûr que quelquefois tu fais même du bénévolat pour te donner bonne conscience.

Allez , vas, passe devant moi, encore une fois. Peut être que demain je verrai la couleur de tes yeux, et si j'ai un peu de chance, tu me donneras même un sourire.

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