Il a fallu un film pour raviver ma mémoire et de nouveau te rendre réel sur ce grand écran. Jamais je n’aurais pensé retrouver des frissons et de l’angoisse face à la noirceur de ton regard, aux coups de fouet de ta voix, à cette fureur que tu répandais quelques fois.
Je me suis revue sur pellicule, lentement dépérir à tes côtés, comme une fleur sauvagement arrachée à son innocence.
Doucement, méticuleusement, tu m’as isolé, mon univers s’est cantonné au tien, à ce que tu me laissais comme miettes.
Comment as-tu pu à tel point déborder d’orgueil et de suffisance, qui t’a permis de devenir ce monstre narcissique ?
Combien de jours, combien de nuits à te subir, comment ai-je fais pour préserver ces petits bouts d’estime de moi-même après les raz de marée de violences verbales, le dénigrement et la culpabilisation ? Je n’ai pu ouvrir les yeux du monde sur ta double personnalité, tu as creusé des douves entre les convenances et la réalité.
J’ai tant remercié mon âme d’avoir posé sur moi le voile de l’oubli, de m’avoir épargné ces réminiscences inutiles et destructrices depuis tant d’années. Le néant de ma mémoire a été mon salut.
Je n’ose imaginer ce que j’aurais pu devenir à tes côtés, certainement l’ombre de moi-même. Tu m’as fait croire que tu m’aimais si fort, mais qui aimais-tu au fond de toi ? Cet amour pervers m’a détruit dans les méandres de l’avilissement. Tu ne m’as offert que la peur durant les dernières années.
Je n’ai plus de compte à régler avec toi, je n’ai plus que du mépris, mais j’ai peur pour mes filles, qu’un jour elles rencontrent quelqu’un comme toi et qu’elle se perdent comme je me suis perdue.
Je serai là pour elles, pour les protéger de ces manipulations et de ces promesses utopiques. Je serai là pour leur dire qu’après les cris viennent toujours les coups et qu’il faut fuir au premier mot.
Je suis partie à temps, non sans mal, il m’a fallu de la force et du soutien. J’ai dû réapprendre à m’aimer comme on peut réapprendre à marcher après un accident.
C’est bien ça, tu as été un accident dans ma vie, mais dans une certaine mesure, c’est toi qui m’as fait prendre conscience de la valeur et de la puissance que j’ai aujourd’hui ; Je ne t’en remercierai pas pour autant, tu t’en doutes.
Mais tu sais, encore aujourd’hui, je dois me forcer à ne pas minimiser tes ravages, j’ai encore tendance à te chercher des excuses. Je ne sais pas pourquoi je te laisse encore ce pouvoir, tu m’as même volé ma colère.
Ce film m’a rendu ma dignité en posant les mots, en montrant ce que l’on cache au monde, tellement honteux de sa faiblesse.
J’écris aujourd’hui pour ne pas oublier que je ne me suis pas respectée dans ma jeunesse, que j’ai laissé faire sans réagir, comme anesthésiée par ton emprise, j’écris aussi pour me prouver que tout cela a été réel et que l’on peut se reconstruire malgré tout, avec patience et bienveillance.
L’amour, le vrai, est emprunt de respect, de soutien, de valorisation, qu’il est propice à exprimer le meilleur de ce que l’on est, qu’il est aidant dans les tempêtes de l’existence.
Et je l’ai trouvé.