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Les petites lettres

Les petites lettres

Petites histoires de gens ordinaires et extraordinaires par Odile Lasmarrigues


Exilé

Publié par Odile Lasmarrigues sur 30 Avril 2015, 09:55am

Catégories : #Société

 

Je fixe le sol. On m'a dit ici de ne pas regarder dans les yeux des hommes en uniforme. On m'a dit qu'on peut se perdre dans leur regard couleur de la mer. Ne pas faire confiance, la mer peut se déchainer et alors, tu es pris dans leur tempête. Ici, ce sont eux qui ont le pouvoir.

Je suis fatigué de résister. La peur, depuis des mois, la peur nourrit mon sang et coupe mon souffle. Je suis aux aguets, et maintenant que tout se termine pour moi, je sens de nouveau la chaleur de l'Afrique palpiter en moi. Le Mali renaît en moi. Ce pays que j'ai voulu quitter par force, par survie, ce pays chante de nouveau dans mes oreilles. Mes racines reprennent vie.

Pourtant, je me souviens de ce qui m'a fait fuir. La misère, le chômage, la terreur des fanatiques, la corruption du pouvoir, ... On ne se déracine pas par plaisir. On ne part pas sur un coup de tête...

Lentement, l'idée grandit en nous, d'abord comme un défi, puis comme une nécessité. Chez nous, c'est un devoir que d'aider sa famille. J'étais suffisamment jeune et en bonne santé pour pouvoir être celui qui sauverait les siens de la détresse. Toute une hérédité nous pousse au voyage.

L'Europe, c'était un rêve, un eldorado. La promesse de la félicité. Une illusion du diable, un fantasme à bas pris vendu à tous les peuples en déroute. Je ne le savais pas encore, j'étais hypnotisé par ces rêves de pacotille vomis par la télévision.

J'ai perdu beaucoup de choses en venant ici. Mon argent d'abord. Mes économies contre une place sur un rafiot chancelant. Ne croyez pas que nous ignorons ce qui arrive quelquefois à nos frères, à nos soeurs, à nos fils, à nos mères. Nous connaissons la mer, nous savons qu'elle a faim, qu'elle se nourrit de nos rêves et qu'elle engloutit nos embarcations. Nous savons tout ca. Et pourquoi croyez-vous que malgré cela, tous les jours, des centaines de prétendants se bousculent sur les rivages? Pensez-vous encore qu'on abuse de votre hospitalité d'européens? Voulez-vous prendre notre place, rien qu'une fois?

Ce voyage.. caché dans une cale, comme un chien. Ma peur a pris racine dans l'obscurité d'une cage, coincé entre des bidons toxiques et des clous rouillés. Toujours debout, pendant des jours, impossible de se coucher pour dormir. Je me rappelle de l'odeur de l'urine, des cris des enfants étouffés par la poitrine de leur mère. Pensez-vous que c'est le plaisir qui guide nos pas? L'angoisse suintait sur les murs. Seuls les cris des passeurs nous sortaient quelquefois de notre torpeur... Jusqu'au moment où on a rejoint la terre ferme, en Italie.

La peur a encore pris un peu plus ses aises. Le regard plus perçant, l'ouîe plus fine, les migrants, comme on nous appelle, développent leurs perceptions. Traqués, méfiants, ils ne vivent plus, ils survivent.

J'ai pourtant essayé comme mes frères d'obtenir un visa pour rentrer en toute légalité. Comme mes frères..., mes dizaines, mes centaines, mes milliers de frères.. .Peine perdue. L'anarchie du monde, la sottise de l'homme, qu'est on prêt à faire pour sauver sa peau?

Avancer, c'est mourir, reculer c'est mourir... Alors mieux vaut avancer et mourir..

Dès lors, la vie est devenue vraiment très difficile.. On m'a traité de sans papier.. Mais moi, j'ai des papiers, je suis quelqu'un, j'ai une identité, un père, un grand-père, je suis le descendant d'une famille respectable.. On m'a refusé le travail, on m'a refusé le logement. On m'a demandé des preuves d'intégration dans la société pour préparer un dossier de régularisation. Mais non, pas de promesse d'embauche pour un sans papier... Le serpent se mord la queue... L'esprit du malin est entré dans la tête de l'homme blanc!

Travailler dans l'irrégularité pour nourrir sa famille. Accepter l'humiliation et les abus des employeurs peu scrupuleux, alimenter malgré soi les rêves de ceux restés au pays, ne pas faillir car la fierté nous pousse toujours un peu plus loin chaque jour qui passe..

Seul. Seul parmi ses compagnons d'infortune. Seul dans sa tête. Un bout d'Afrique dans les quartiers de Paris. Pathétique réplique d'un souvenir déjà lointain. Comment trouver chaque matin la force de continuer? Ce n'est pas une vie, ce ne peut pas être ma vie.

La peur, la traque, la méfiance, la violence, la nostalgie, ... je suis fatigué..

Jusqu'à hier. Il n'était ni plus jeune, ni plus vieux que moi. Il m'a demandé mes papiers. Je ne me suis pas enfui. Trop de lassitude sur mes épaules, trop de désillusions. Il m'a regardé mais il n'a pas lu en moi. Nos yeux ne se sont pas reconnus. Nous n'étions pas égaux. Mais c'est son quotidien, c'est son rôle. Il m'a laissé ici.. Dans ce centre de rétention..

Je fixe le sol. On m'a dit ici de ne pas regarder dans les yeux des hommes en uniforme.

Alors je lève la tête et regarde le ciel. J'attends l'avion qui me ramènera auprès des miens, dans la matrice.

Je ferme les yeux, et je vois l'Afrique. Je vois les couleurs chaudes de l'aurore sur la savane, je vois les pagnes colorés de mes soeurs, je vois les enfants qui courent toujours plus nombreux dans les rues de Bamako, je suis aveuglé par ce soleil qui a bruni la peau de tous mes ancêtres..

Je ferme les yeux et je sens l'Afrique. L'odeur du marché de Tombouctou, l'odeur acre du beurre de karité, le parfum suave des femmes mélangé à la puanteur du poisson séché. Les épices, le gombo, le piment, l'arachide, le mouton grillé..

Je ferme les yeux et j'entends l'Afrique.. J'entends le vacarme des taxis dans les rues bondées, la palpitation de la jeunesse malienne, j'entends le fleuve Niger qui gronde, j'entends la colère de tout un peuple en détresse...

J'arrive mère Afrique, ton fils revient dans ton ventre..

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