Il est venu sans rendez vous, comme si sa peine était trop lourde pour convenir d'un horaire.
Je l'ai vu hésiter à s’approcher de mon bureau, passer et repasser furtivement.
Enfin,il est entré me demander des renseignements, sur tout et n'importe quoi.
Je l'ai invité à s’asseoir pour tout reprendre à son début.
Le début de son abysse, son arrivée en France.
Je suis allée chercher les mots au plus profond de son âme, tel un accouchement douloureux de ses démons et désillusions.
Poussé par ses pairs à transcender l'histoire familiale, il est arrivé garant de la réussite de tout un clan.
Il me raconte son quotidien d'exilé, sa difficulté à allier ses études et son travail, le manque de communication avec sa famille, voire le rejet mais la nécessité de leur montrer qu'il vit dans l’opulence.
Il m'explique les mensonges, les I phone achetés pour leur montrer à quel point il est bien dans son pays d'adoption, la solitude dans l'université, le manque de temps pour le plaisir, pour la détente.
Il me parle de sa tête qui explose la nuit, de ses pensées qui dansent et s’entrechoquent pendant qu'il cherche le sommeil.
A bout. De souffle, d'idées, de raison de continuer. A quoi bon vivre dans l’hypocrisie, il voudrait dormir, dormir sans songe ni étau.
Il est venu sans rendez vous et pourtant il y a eu une rencontre entre nous. J'ai compris sa peine, j'ai retouvé l'Afrique, ses souvenirs ont résonné avec les miens, dans d'autres temps, dans un autre contexte.
Je l'ai regardé et j'ai ressenti les odeurs de Dakar, comme vingt ans auparavant. Il a tchipé et on a ri.
Il est reparti un peu allégé de son histoire, m'invitant alors à me replonger dans la mienne.