- Bonjour, j'aimerais pouvoir parler à quelqu'un.
- Et bien vous êtes au bon endroit mademoiselle, essayez-vous, je vous écoute.
Toute jeune femme au regard enfantin, les paupières légèrement maquillées d'un bleu lavande. Elle a besoin de confier sa tristesse à une personne en dehors de son entourage proche, une personne qui pourra légitimer sa peine.
Ses parents divorcent, cela la touche énormément, ressentant au fond d'elle la perte de ses repères.
L'approche est conventionnelle, elle n'ose pas aller trop loin, mais nous sentons toutes les deux que le vrai sujet n'est pas là.
Je la laisse venir à son rythme tout en l'aiguillant sur ce sentier glissant.
La confiance que l'on instaure ensemble la libère et elle me confie la nouvelle qu'elle n'a pas le droit d'ébruiter : l'inceste de son grand père et de son grand oncle sur sa mère et sur des cousines dont elle a eu connaissance il y a quelques mois.
Je sens un poids qui s'envole en elle, mais également l'ombre des conventions sociales et familiales.
Elle n'a pas le droit d'en parler et de salir la mémoire de ces piliers de la famille et du village dont elle vient.
Pas de vague, ne pas remuer la fange et rester à sa place, ne pas heurter les sensibilités transgénérationnelles.
C'était il y a longtemps, ils ne sont plus de ce monde....
Mais elle sent aussi qu'elle n'a pas le droit de se taire et de laisser perpétrer ces actes méprisables.
Elle est de cette génération qui ne se
tait plus, de #balancetonporc à #metoo, elle se reconnait dans ce devoir de parole pour ne plus que les femmes excusent ces hommes-là.
Son corps exprime sa colère, le dos se redresse, les épaules s'ouvrent; elle a cet élan qui s'affirme d'en parler à son frère, à ses cousins, pour ne pas que ces histoires restent dans les secrets des victimes.
Qu'est-elle venue chercher auprès de moi ? Une autorisation ?
Pourquoi apprend-on aux jeunes filles qu'il faut une autorisation pour se respecter?
Journée de la femme..
Et si nos jeunes filles avaient maintenant ce courage qui a tant manqué jusqu'ici ?