Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les petites lettres

Les petites lettres

Petites histoires de gens ordinaires et extraordinaires par Odile Lasmarrigues


La mémoire

Publié par Odile Lasmarrigues sur 14 Mars 2015, 15:24pm

Catégories : #histoires d'infirmières

La mémoire

Mon mari, mon ami, je ne te reconnais plus. Je ne vois pas au fond de ton regard l'homme que j'ai épousé il y a tant d'années.. Tu m'es inconnu. Le temps a fait son œuvre et a détruit le château de nos souvenirs.

Des souvenirs, j'en ai pour nous deux. Ceux qui jalonnent une vie, ceux qui ponctuent la naissance de nos enfants, ceux qui nous racontent, tendrement, doucement, patiemment, ceux la même qui réchauffent mon cœur qui se glace quand je vois la violence de ton regard. Tu n'es plus celui qui a marché à coté de moi jusqu'à l'automne de notre vie. Je te pardonne, je ne te juge pas. J'ai de la colère, oui, mais contre cette maladie de la vieillesse qui te réduit à ce que je vois.

Tu es tellement loin de toi même maintenant. Où est passé l'homme bon, généreux et même docile que j'ai rencontré à ce bal, juste avant les heures sombres de l'histoire, au temps de l'insouciance..

Ta douceur m'avait tant charmé lorsque que tu avais saisi ma taille pour me faire virevolter au son de l'accordéon.

La mémoire... Quel cadeau plus précieux fut-il donné à l'homme.. Dieu m'a laissé ma tête, mais il m'a pris mes jambes... Regarde nous à présent. Tu es ma canne, je suis ta raison.. Quelle belle vieillesse !

Nous sommes unis, jusqu'au bout. Nous avons eu le meilleurs.. Que nous reste-t-il à vivre à présent..

Je ne peux pas me résoudre à me séparer de toi que j'aime depuis si longtemps, mais pardonnes moi, mon mari, mon ami, mais je suis lasse de toi.. Je suis fatiguée de raisonner pour deux, je suis fatiguée de subir tes colères et ta violence. Je sais bien que ce n'est plus toi que j'ai en face de moi, mais j'ai peur. De ta canne, de ta main.

Je souffre de voir l'angoisse monter en toi. Tu sais au fond de toi que tu plonges dans le précipice et je ne peux que te regarder tomber. La chimie ne peut plus rien pour toi ; ma tendresse et mon soutien ne suffisent plus à ton équilibre.

Comment faire pour t'aider ? Comment les autres peuvent-ils comprendre à quel point mon cœur se brise un peu plus tous les jours ? Nous sommes dans la même barque mon amour. Je ne peux pas te lâcher la main maintenant.

Alors je subis et je me tais pour ne pas t’énerver. Je subis la nuit les réminiscences de ta jeunesse, je te laisse me faire manger à des heures incongrues, j'accepte de rester dans le noir tant que tu n'as pas voulu ouvrir les volets. Je m’inquiète quand tu pars dans la rue sans savoir où tu vas.

Je ne peux pas bouger, je suis dépendante de toi. Mais je reste forte, je cache mes larmes devant la famille. A quoi bon se lamenter. On s'habitue, à tout, toujours.

Je ne veux pas qu'ils t'arrachent à moi, je ne veux pas qu'ils t'éloignent car je sais que tu n'y survivras pas. Tu seras perdu pour toi même.

Mais comment continuer ainsi ? Tu finiras par me faire mal et tu te détesteras. J'ai été l'amour de ta vie autrefois, j'ai été ta branche, j'ai été ton socle. Je sais que je te suis essentielle.

Alors je préfères encore que la mort t'appelle. Mais non, je ne serai pas une veuve joyeuse. Le bonheur, je l'ai découvert au fond de ton âme et c'est pour cela que je prie tous les soirs pour qu'elle s'envole, légère, apaisée...

Attends moi mon amour, attends moi parmi les anges. Je te promets, je ne serai pas longue..

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents