Les étoiles

Publié par Odile Lasmarrigues sur 25 Mars 2015, 21:18pm

Catégories : #histoires d'infirmières

Maman.. Pourquoi tu me fais ca ? Pourquoi tu t'en vas ? Je ne peux pas vivre sans toi, c'est ta faute, tu ne m'as pas appris la solitude. Que vais-je devenir dans cette grande maison sans toi ?

N’écoute pas les médecins, ils ne savent pas comme ton cœur est fort. Ils ne savent pas comme il est robuste et comme il a déjà lutté. Moi je te connais. Je sais que la vie coule encore dans tes veines. J'entends ton souffle, il remplit le vide qui s'installe en moi. Tu es belle maman. Tu es belle avec les rides qui entourent ton visage. Je t'ai tellement regardé, toute ma vie mes yeux se sont posés sur toi, vers la douceur de tes baisers et la tendresse de tes longs cils.

Ton corps est fatigué, il s'est usé avec le temps. Cent longs hivers... Je sais que le ciel t'a déjà suffisamment attendu mais je ne suis pas prête. Tu restes éternelle pour moi. Tu as traversé le siècle avec courage, connu la peur, la violence, les bombes, le feu.. mais aussi tu as vu le monde se transformer. Tout est allé si vite. Tu es dépassée à présent, toi qui a toujours vu la vie couleur sépia.

Mais aujourd'hui que tes beaux yeux bleus se cachent sous tes paupières alourdies, j'ai envie que tu me parles encore de ce temps là, ce temps où malgré tout, les gens avaient des rêves et des principes. Où les plaisirs étaient simples et la terre était saine. J'ai envie que tu me parles encore de mon père qui est parti depuis si longtemps. Sa présence te manque, tu le cherches dans ton sommeil. Bientôt vos âmes se retrouveront et moi je serai là, orpheline.

J'ai toujours vécu à travers toi. Je ne suis pas faite pour l’indépendance. Jamais tu n'as été un poids pour moi. J'ai aimé ces moments d'intimité, ces heures passées à savourer ta présence. Si lucide, si perspicace, si percutante. Mon modèle.. Trop parfaite peut-être pour me permettre de trouver mon propre chemin. A l'aube de ta vieillesse j'ai aimé m'occuper de toi, faire ces gestes que je n'ai pas fait pour d'autres.

Je sais bien que certains se sont moqués. Jamais un mari n'a osé briser le lien fusionnel qui nous unis. Je n'ai pas fondé de famille. Ton sang n'ira pas plus loin que moi même. Tu es mon tout. Tu es mon phare. Je n'avais besoin que de toi.

Je t'en veux. Tu aurais du me préparer à ton départ. On ne laisse pas les êtres qu'on aime amputés de la sorte. C'était ton rôle de mère de t'occuper de ça. Mon avenir est vide de sens maintenant. Je n'ai plus de but, ton silence fait trop de bruit... Même les oiseaux forcent leurs petits à prendre leur envol. Pourquoi m'as-tu refusé cela ? Je n'ai pas voulu voir la réalité en face. Je me suis voilé les yeux. Peut-être ai je secrètement espéré partir avant toi...

Je ne t'accablerai pas. Cet instant, je m'en délecte. Je sens ta main dans mienne, chaude, douce. Tu m'entends encore, mais nous n'avons plus besoin de parole. Je veux fixer ton image dans mon esprit, me bâtir un refuge.

Je tourne la tête et ne reconnais pas l'image que me renvoie le miroir à coté de ton lit. Est ce bien moi cette femme mure aux cheveux argent? Derrière le masque de la douleur, je sais que se cache encore un sourire juvénile. Ma vie m'a peut être échappé jusqu'ici mais tu me laisses ta force et ton courage.

Alors oui, pour toi maman, et surtout pour moi, je vais continuer à faire face. Je vais m'ouvrir aux autres et prendre ma part de bonheur. Tu ne m'a pas volé ma vie; je n'ai juste pas compris assez tôt qu'elle m'appartenait.

Maintenant que tes yeux se tournent vers les anges, ma propre existence devient légitime. Merci. Merci pour ce qu'on a vécu ensemble, pour tout ce qu'on a partagé, merci pour ce qu'il me reste à découvrir..

Pars sereine, ne t’inquiète pas. Rejoins les étoiles et veille encore sur moi..