Ne viens pas, demain, ouvrir mes volets à la clarté du monde. Ne viens pas, demain, ôter mes couvertures et m’asseoir au bord de mon lit. J'ai le vertige du temps passé qui a usé mon âme. Ne m'oblige pas à affronter une nouvelle journée de vide, ne rajoute pas encore un jour à mon siècle révolu. Je suis lasse d’être encore sur Terre, fatiguée de traîner mon corps que je ne contrôle plus. Pourquoi Dieu m'a t-il oublié, que dois-je encore comprendre pour être libérée, rejoindre mes fantômes et enfin trouver la paix ?
Sourde et presque aveugle, je me fais honte, je ne peux accepter d’être un poids pour ceux qui restent. J’égrène les heures, une à une, du matin jusqu'au soir, enfermée dans mes souvenirs, comme un étau qui me mine. Qu'ai-je encore à vivre ici-bas ?
Je ne comprends plus le monde qui m'entoure, je me sens si différente, si inutile, comme un insecte pris dans une toile, immobile, attendant simplement la fin du supplice. J'ai connu un temps qui ne ressemble plus à aujourd'hui, je n'ai plus rien à offrir, sinon mes larmes et mes regrets.
Ne viens pas, demain, me donner ces médicaments qui maintiennent mon cœur en vie, soit clémente et abrège mon tourment, je veux à présent rejoindre les étoiles, dans un ailleurs qui m’enlèvera cette angoisse oppressante.
J'ai été comme toi, tu sais, courageuse, solide, déterminée. J'ai gravi une à une les marches de l’existence, jusqu'à atteindre le sommet de la colline. Je suis si près du ciel maintenant, si détachée du monde des vivants, je n'ai plus qu'à tendre mes bras pour m'envoler enfin.
Et toi qui es si jeune, si pleine de ce monde qui ne me veut plus, comment peux-tu encore supporter de t'occuper de moi chaque matin, chaque soir.. Je me confie à toi pour épargner mes enfants, ne pas rajouter à leurs soucis, ne pas être en trop. Que fais-tu de ma peine, quelle magie s’opère lorsque tu me souris si affectueusement ?
Si lourde et si gauche, je manque de m'effondrer à chaque pas que je fais. Tout m'épuise tellement, si tu savais ma chérie, comme j'ai redouté d'arriver à ce grand âge.. Toutes mes amies d'une vie sont déjà parties et m'attendent de l'autre coté. Que faire alors de ces heures que tu m'offres encore ?
Les clefs dans ta main, le sac sur ton épaule, tu t’éloignes déjà, je vais alors retourner dans ce silence qui fait tant de bruit en moi.
Mais attends avant de repartir, donne moi encore un peu de ton élan, reste auprès de moi. La maison dans la pénombre me fait peur, comme une enfant j'ai besoin de ta main sur la mienne, je veux sentir la chaleur de ton sang. Assieds-toi prés de moi, je te laisse de la place. Baisse la barrière de mon lit, baisse la barrière de ton cœur, s'il te plaît, j'ai besoin que tu me rassures, ce n'est pas vrai, je ne veux pas mourir, j'ai bien trop peur qu'il n'y ait plus rien après, peur de ne pas retrouver mon fils ni mon époux, mais je ne veux plus vivre comme l'ombre de celle que j'ai été.
Tu ne dis rien, les mots sont superflus, la raison n’adoucira pas mes cauchemars. Ta présence me suffit quand je sens palpiter en toi cette tendresse que tu me donnes.
A présent, tu peux t’éloigner, éteindre la lumière et fermer la porte à double tour...
Viens demain, je t'attendrai...