Il était une fois un petit garçon à l'imagination très fertile. Quand la nuit tombait, il se sentait vite inquiet devant les ombres qu'il voyait bouger derrière ses fenêtres. Déjà il s'imaginait des sorcières aux doigts crochus venues l'enlever ou bien encore des monstres dégoulinants rampant depuis la forêt. Car là était son tracas: il habitait dans une grande maison à l’orée d'un bois, près d'arbres centenaires et cette vaste nature le terrorisait depuis son plus jeune âge. Sa famille n’était pas du genre bucolique, pourrait-on dire, puisque ses parents n'aimait rien tant que de construire des dalles en béton autour de la maison pour éloigner au mieux les nuisances de la végétation.
Les soirs de pleine lune, les branches des arbres apparaissaient menaçantes pour l'enfant qui ne pouvait trouver le sommeil qu’après un long moment caché dans son lit. Le vent chantait dans les feuilles tandis que les chouettes bavardaient au loin. Cette abondante forêt épouvantait l'enfant.
Dans le jardin, seul un pauvre cerisier rabougri avait le droit de résidence. Il était là, tout seul, planté dans un petit carré d'herbe. Son salut venait de ses fruits, si tendres et juteux que la famille prenait plaisir à ramasser quand les beaux jours revenaient. Le reste de l’année, il trouvait le temps long car personne ne circulait hors de la maison et pas le moindre arbuste n’était là pour lui tenir compagnie dans cette cour bien grise..
N'y tenant plus, au bord de la dépression, le cerisier prit enfin une grande décision: il devait parler sans tarder aux autres arbres du bois et trouver le moyen de réconcilier l'enfant avec la nature. Il voulait entendre des rires dans le jardin, assister à des jeux de ballons et de galipettes, partager des goûters à la fraîcheur de son ombre, il avait besoin de ressentir cette vie jusqu’au bout de ses feuilles.
Il planta alors ses racines encore plus profondément dans la terre, en s’étirant, s’étirant encore, croisant sur son passage tout un monde souterrain, peuplé d’insectes, de champignons et bien d'autres organismes essentiels à la vie de la forêt. Il se concentra si fort, qu'il s'en fit sauter quelques cerises.
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Urgence... STOP.... Demande réunion au sommet... STOP..... Angoisses nocturnes.. STOP... calmer l'enfant.... STOP.
A quelques mètres de là, un grand chêne était déjà bien occupé à réceptionner les messages de tous les autres végétaux. Cette année, le pauvre arbre croulait sous le travail. Certains se plaignaient de la sécheresse, d'autres de la disparition des insectes, d'autres encore jugeaient leur espace de vie de plus en plus réduit. La colère montait dans le sous-bois et aucun humain ne semblait l'entendre...
Et maintenant un enfant épouvanté ! Il n'en fallait pas plus au grand chêne pour déclencher le plan rouge. Pour lui les enfants étaient une priorité absolue. En tant que futurs adultes, ils auront le sort de la planète entre leur mains, pas questions qu'ils aient peur de la verdure!
De toute ses forces, avec toute l’énergie contenue dans sa souche, il envoya dans l'humus et jusqu'au bout de ses racines une vibration gigantesque, si forte, que la plupart des vers de terre sursautèrent.
Tout le peuple végétal désirait se mêler à cette opération, mais seuls les vieux arbres sages avaient droit de parole. Après quelques heures de négociation, il en fut décidé ainsi: la reine des lucioles, bien connue des sous bois pour être une bonne médiatrice, rencontrerait l'esprit de l'enfant au travers de ses rêves, et lui montrerait alors toute la magie de la nature.
La nuit suivante, tout le monde se tint prêt et chacun suivit les consignes à la lettre. La lune se donna moins d’éclat, le vent se fit plus discret et les chouettes arrêtèrent un moment leur conversation quotidienne. La forêt entière retint sa respiration lorsque l'enfant partit calmement au pays des rêves.
La luciole reçut les dernières recommandations de la collectivité et rejoignit alors l'enfant dans la pureté de ses songes.
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Eh, petit garçon, que fais-tu ici?
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Un insecte me parle? demanda l'enfant bien occupé à mener un combat de joutes dans la cour d'un château fort..
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Viens, fais moi confiance! répondit-elle d'un air joyeux.
D'un coup d'un seul, l'esprit du petit garçon se retrouva au pied d'un sapin, par un bel après-midi de printemps. Un peu déçu de changer d'ambiance, le garçon protesta.
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Mais pourquoi suis-je là ? Je n'aime pas les forêts, elles me font peur.
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Mais oui! Je suis là pour te montrer la beauté du monde, suis-moi! répondit la reine.
La petite luciole espiègle fit voler l'enfant au-dessus des arbres les plus hauts.
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Regarde! Ouvre bien tes yeux!
L'enfant fut saisi par la splendeur de la canopée. Il aperçut tout un monde qu'il ne connaissait pas, un monde vivant et coloré, fait de collines, de cours d'eau, de rocailles et de végétation luxuriante. Au loin gambadaient des chevreuils, ici courraient des sangliers, là bas, des biches épanchaient leur soif au bord d'une rivière. Un sentiment de joie intense emplit le cœur du garçon. Il ne ressentait plus aucune peur, juste un sentiment de plénitude.
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Tu vois, tout se passe bien dans une forêt, les éléments se régulent tout seuls, dans un parfait équilibre.
La belle luciole se logea alors dans la main de l'enfant et le fit descendre vers un hêtre. Celui-ci salua le petit garçon. Il n'en croyait pas ses oreilles.
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Mais, vous parlez?
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Bien sur mon petit. Tout comme les humains, les végétaux communiquent, les animaux échangent entre eux également. Comment crois-tu que nous organisions notre communauté? Il y a des règles, des discussions, nous nous protégeons mutuellement et nous prévenons le groupe lorsque des dangers surviennent.
Le cœur du petit garçon s'ouvrait à la magie de la forêt, tandis que la luciole esquissait un sourire satisfait.
Le voyage n’était pas terminé pour autant. La reine expliqua à l'enfant comment le monde végétal et le monde animal dont les hommes faisaient partie étaient complémentaires puisque chacun produisait l’élément essentiel de la survie de l'autre, plus précisément l’oxygène par les plantes et le dioxyde de carbone par les animaux. Elle ne pouvait plus contrôler son débit de parole, elle était si enthousiaste!
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Te rends-tu compte? Les plantes peuvent même te soigner! Et aussi te réconforter, t'apaiser, te nourrir aussi! As-tu pensé aux champignons et aux mures sauvages? Que peut-on craindre d'un tel paradis?
La luciole fit une pirouette de joie pour retomber avec grâce sur ses pointes, telle une ballerine.
Le petit garçon se sentait bien à présent au milieu des arbres, son appréhension avait laissé place à un doux sentiment de protection.
Déjà le message s’était diffusé. La forêt avait ressenti un changement chez le jeune garçon, ses émotions s’étaient inversées ! Chaque arbre chuchotait au travers de ses feuilles, les oiseaux prenaient le relais, l'information circulait. Un nouvel espoir naissait au milieu de la chlorophylle: et si cet enfant faisait partie des nouveaux gardiens du refuge?
Au petit matin, le petit garçon se réveilla dans son lit avec une étrange impression. Il se sentait un peu différent, peut-être un peu plus grand, dans tous les cas, avec au fond de lui une confiance, une sérénité et une nouvelle envie qu'il ne se connaissait pas, celle de vivre en harmonie avec la nature et non plus à coté..