Plic ploc
roule la bille, roule
plic ploc
roule la bille et coule
Tombée du ciel, la petite goutte de pluie se sentait bien triste posée sur son nénuphar.
Une grenouille vint à passer. Elle sauta près de la gouttelette et la regarda de ses yeux globuleux.
-
Crôa.. Moi c'est Orlanda, Louison, Guenièvre, Andalousie. Mais tu peux m'appeler OLGA . Et Tôa, comment tu t'appelles, nom d'une sauterelle ?
-
Je ne sais pas quel est mon nom, répondit la goutte.
-
Pardon ??? Tu t'appelles saucisson ? Olga était très aimable, mais aussi un peu dure d'oreille.
-
Je disais que je ne connaissais pas mon nom, répéta la petite goutte. Je ne sais pas d’où je viens, je n'ai pas de forme ni de couleur. Même quand je pleure, mes larmes ne se voient pas, elles sont comme moi, elles sont transparentes.
La grenouille approcha sa tête de la gouttelette. Elle sentait fort le moustique mastiqué.
-
Mais on sait tous d’où on vient ! Regarde moi, j’étais un têtard, je suis née dans cette mare et maintenant je suis encore là. Toi, tu viens du ciel, tu viens d'un nuage, et ensuite tu glisseras dans l'eau de cet étang. Où est la tristesse là dedans ?
-
Je suis triste parce que je n'ai pas de couleur. Personne ne me voit, personne ne sait que j'existe. Toi, tu as de la couleur, tu es toute verte, dit la petite goutte.
-
Je suis Ouverte ? demanda Olga en se grattant l'oreille.
-
Non, tu es TOUTE VERTE, cria la gouttelette.
-
Et alors ? Est-ce-que c'est si important ?
-
Oui, dit-elle. Quand on te voit, on a le cœur qui s'ouvre, ta couleur est comme celle de la nature, elle donne envie de se rouler dans l'herbe.
-
Mais ça, c’est toi qui le pense, moi je ne me pose pas cette question.... JE SUIS,... rien de plus...
La petite goutte resta immobile, bien perplexe devant cette grenouille qui se fichait pas mal d’être verte...
Un papillon jaune se présenta, virevoltant au dessus du nénuphar. Il se posa délicatement sur la fleur de lotus. D'un mouvement gracile, il fit bouger ses petites antennes.
-
Tu vois, dit la goutte à la grenouille, le papillon, lui, est tout jaune, la couleur de l'or, la couleur du soleil. Elle se tourna vers le papillon et lui dit :
-
C'est vrai ce que je dis, non ? N'es-tu pas ravi d'avoir la couleur de la joie ?
Le papillon la regarda d'un drôle d'air.
-
Pourquoi tu me dis ça, la goutte ? Moi, je suis comme je suis, je ne sais pas de quelle couleur sont mes ailes !
Et il s'envola.
Le ciel, chargé de nuages, se dégageait peu à peu. La gouttelette était bien troublée face à ces animaux qui ne se rendaient pas compte de la chance qu'ils avaient d’être colorés.
Olga fixa un moustique sur les berges de la mare et d'un coup sec, fit claquer sa langue collante pour l’attraper avant qu'il ne s'envole.
-
Ouvre tes yeux, petite goutte, n'attends pas de disparaître avant d'apprendre à aimer ce que tu es...
La goutte se scruta avec attention et ne vit encore qu'une masse transparente, sans forme ni couleur.
-
Je ne suis pas comme sont les autres. Les autres portent sur eux des choses que je n'ai pas. Je n'ai pas la couleur du bonheur, je n'ai pas la couleur de la joie et je n'ai pas non plus la couleur du courage comme ce poisson rouge qui nage dans l'eau.
-
Regarde là-bas, répondit la grenouille, que vois-tu ?
-
Je ne sais pas comment s'appelle ce reptile, avoua la gouttelette.
-
C'est un caméléon. Quelle couleur porte-il sur lui ?
-
Je ne saurais dire, répondit la goutte, un peu de tout, on dirait que cela change constamment.
-
Et bien oui, tu as raison, rétorqua la grenouille. Le caméléon a tellement peur de ce que pense les autres, qu'il préfère se cacher et prendre les couleurs qui ne sont pas les siennes.
La petite goutte ne savait plus que penser. Elle regarda l'immensité de l'eau et se dit qu'elle ferait peut-être mieux de se mélanger aux autres gouttes de la mare.
Subitement, le dernier nuage céda au ciel bleuté et une grande lumière vint se poser sur l’étang.
La petite goutte fut transpercée par un rayon blanc et éclatant. La grenouille se recula de quelques pattes pour assister au spectacle de la métamorphose.
La petite goutte ressentit en elle une éclosion de sensations, elle regarda avec bonheur un prisme coloré sortir de son ventre.
Elle projeta depuis le centre de son cœur sept merveilleuses couleurs.
La gouttelette n'en croyait pas ses yeux et cette fois-ci pleura de joie.
La grenouille s'installa sur ses pattes arrières et, avec une certaine satisfaction, lui tint à peu près ce discours :
-
Les qualités que tu envies chez les autres sont déjà toutes en toi. Tu peux décider d'attendre qu'ils les approuvent, par leur regard, par ce qu'ils disent de toi ou bien tu peux décider que toi seule a le pouvoir de les faire sortir de toi-même, quand tu le veux, aussi longtemps que tu le désires. Telle sera ta force petite goutte, le monde n'est pas là pour te dire ce que tu dois être. Écoute ce que dit ton cœur, prends confiance en toi et éblouis nous de cet-arc-en ciel qui vit en toi.
Et elle sauta, laissant à la gouttelette la liberté de prendre toute sa place, pour toujours.