Il était une fois une petite fille qui pleurait tout le temps. Elle pleurait quand elle avait faim, quand elle avait peur, quand elle était triste. Elle pleurait encore quand elle était en colère, quand elle avait froid et aussi quand elle avait faim. Elle pleurait tellement, que ses parents l'avaient surnommé « Fontaine ».
Fontaine semblait donc très malheureuse. Elle traînait son doudou par terre toute la journée en tirant sur les jupons de sa mère.
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Oh cette enfant est impossible, tu ne vois donc pas que je suis occupée? se plaignait sa maman tandis qu'elle faisait claquer ses talons sur le parquet. J'ai une réunion, je n'ai pas le temps d’écouter tes caprices.
Et comme à chaque fois, elle partait, ses gros dossiers sous le bras.
Fontaine retournait alors sur ses pas, les yeux humides et la morve collante.
Bien des nounous s’étaient succédées pour tenir compagnie à la petite fille, mais elles finissaient toutes par partir, fatiguées de l'entendre pleurer.
La fillette ne savait pas vraiment pourquoi elle pleurait, elle avait toujours fait ça sans qu'on lui explique qu'elle pouvait faire autrement, surtout quand ses parents lui répétaient sans cesse : «Toi de toute façon, tu ne sais faire que ça »
Tous les jours de la semaine, ses parents levaient les yeux au ciel quand arrivaient l'heure du bain, puis du repas, puis du coucher.
Tous les jours de la semaine, sa maman se plaignait de n’avoir pas une minute pour elle et son papa rouspétait de l'entendre encore pleurnicher.
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Cette enfant est tout de même bizarre, peut être faudrait-il par un docteur la faire voir ? dit un soir son père.
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Oh oui, il faut que quelqu'un s'en occupe et qu'elle cesse de traîner dans mes jupes ! répondit alors sa maman.
Il y avait pourtant un endroit dans la maison où Fontaine ne laissait pas couler ses yeux, c’était dans la jardin. Elle y rejoignait souvent son grand père qui y faisait pousser des fleurs magnifiques. Elle y avait appris le nom de chacune d’entre elles : des roses, des tulipes, des bégonias, des hortensias et même des « rhododendrons ». Ce mot fascinait l'enfant qu'elle confondait toujours avec « des gros dindons »
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Ma petite chérie, que viens-tu faire aujourd'hui ?
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Ze viens faire sonner les clochettes du muguet et souffler sur les pissenlits.
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Quelle bonne idée, et ensuite nous reprendrons nos leçons, tu veux bien ?
Le grand-père de Fontaine était un homme très haut avec une grosse moustache qui lui rentraient souvent dans les narines.
Il était le gardien du secret le plus secret du monde entier : il savait comment faire pousser les fleurs....
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Leçon numéro un : pour faire pousser une graine, il faut du temps ! annonça t-il d'un air très très sérieux.
Alors, ils passèrent du temps à préparer la terre et à planter des graines. Fontaine prenait grand soin à être douce et délicate, à donner une caresse à une, un baiser à l'autre, à laisser assez d'espace entre les trous mais pas trop, pour ne pas qu'elles se sentent seules...
De l'autre coté du jardin, sa maman appelait.
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Fontaine, dépêche toi, il y a quelqu'un pour toi ! Ouh.. cette enfant est trop lente, toujours fourrée avec ses plantes...
La petite fille revint voir sa mère, les chaussures pleines de boue et le visage enjoué.
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Voici le docteur, nous allons enfin comprendre pourquoi tu pleures.
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Bonjour ma petite, tu as certainement, je pense, une pleunichite.
Il sortit de sa mallette tout un tas d'instruments bizarres qu'il approcha de la fillette : des baguettes pour tambouriner sur son ventre et une torche pour éclairer le fond de la grotte où dormaient ses amygdales. Enfin, il plaça un immense télescope devant ses yeux pour regarder le ciel qu’elle avait dans sa tête : aucune météorite, juste quelques vœux laissés par les étoiles filantes..
Le docteur l'examina avec grande attention et dans un silence inquiétant donna sa conclusion : Cet enfant n'a rien, pas même un ver à l'intestin.. Et il repartit, un peu déçu de n'avoir pas pu donner d'explications.
Le lendemain, la petite fille rejoignit son papy dans le jardin.
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Leçon numéro deux : pour bien faire grandir une fleur, il faut lui dire de belles choses.
Ils passèrent alors le reste de l’après midi à complimenter les fleurs.
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Tu es belle la jonquille, tu es gentil le bleuet, tu es forte la marguerite, tu sens bon la rose, récitait-elle comme un poème.
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Tu es importante la glycine, tu comptes à mes yeux l’œillet, tu es précieuse la lavande, continuait son grand père.
Comme la veille sa mère la sortit de ses pensées :
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Fontaine, dépêche toi, il y a quelqu'un pour toi. Rhoo.. encore de la boue, elle va nous rendre tous fous. Voici la voisine, elle s'y connaît en médecine.
Et voilà comment Fontaine se retrouva couverte d'argile de la tête au pied, avec juste un petit trou pour respirer.
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Voilà l'affaire, toute cette terre arrivera je n'en doute pas, à la sortir de ce tracas, annonça avec conviction la voisine.
Évidemment, pas de grand changement aux yeux de sa maman.
S'en suivirent alors tout un tas de grands savants qui voulurent tous guérir la petite fille d'un mal dont elle ignorait elle-même l’existence.
Un petit monsieur aux doigts très fins décida de lui remettre tous les os bien droits. Une dame bien bavarde conseilla de déjeuner avec de la moutarde. En désespoir de cause, ses parents firent même venir une sorcière qui dansa toute la nuit sous la lune pour conjurer les mauvais sorts.
Au matin, après bien des chagrins, la petite fille se sentait toujours autant incomprise.
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Leçon numéro trois : pour qu'une plante devienne robuste, il faut écouter ses besoins, expliqua son grand père.
Fontaine passa du temps à arroser chaque fleur, chaque feuille, chaque pétale, à enlever les mauvaises herbes qui gênaient les racines, à les orienter vers le soleil ou bien au contraire, à leur fabriquer des minuscules chapeaux. Elle regardait son grand père qui avait l'air tellement heureux et calme, et ses fleurs qui ne semblaient manquer de rien. Un gros chagrin s’empara d'elle quand elle se blottit dans ses bras réconfortants.
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Allons allons, qu'as-tu mon petit bouchon ? Tu sais, je crois que j'ai compris ce qui te faisait tant de peine.
Il prit la main de la petite fille et l'amena dans son atelier pour lui montrer des graines de haricot.
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Je crois que ton petit cœur est devenu tout sec comme ce haricot car il a séché trop longtemps sans qu'on le regarde. Mais tu sais, si on s'en occupe bien, si on l'arrose tous les les jours et qu'on le plante dans une bonne terre, alors il deviendra aussi fort et aussi beau que les autres. Il existe pour cela, pour grandir dans la confiance.
A ces mots, la petite Fontaine, bien que pas très grande, mais pas non plus si petite que ça, sentit tout son corps se détendre et son chagrin s'en aller.
Alors, avec un courage qu'elle ne se connaissait pas, ravalant ses larmes et son nœud dans la gorge, elle prit un arrosoir plein d'eau et l'apporta à ses parents, bien surpris de ce comportement.
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Ze suis comme un haricot, z'ai besoin d'eau pour bien grandir.
Sa maman, acceptant toute l’émotion qu'elle sentait monter en elle, comprit alors que sa fille allait très bien mais qu'elle avait besoin qu'elle l'arrose tous les jours de tout son amour, de belles paroles et d'attention et que peut être, mais vraiment peut être, elle aurait du elle aussi porter un arrosoir à sa maman quand elle était petite fille pour qu'elle lui apprenne à jardiner..
Dès lors, la fillette perdit son surnom pour de bon, et apprit à dire « rhododendron ».
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