Il y a d'abord le choix, par l’œil, par l'intellect, la juste mesure entre la raison et l'envie. Il y a cette première idée que le meilleur est à venir, cette propension au plaisir et à la délectation.
Au milieu de la corbeille, cachée à demi par d'autres fruits, telle une mondaine,elle se pavane. Elle sait déjà qu'elle sera l’élue, la préférée, la référence, à moins qu'elle ne déçoive, malgré tous ses apparats.
Sur son écorce orangée, lisse et tendue, elle sent la chaude caresse qui viendra bientôt la déshabiller. L’étreinte est audacieuse, à la frontière de l’indélicatesse. Quelques pressions sur ses rondeurs, elle est jugée, soupesée, évaluée.
Vient alors l’évidence du geste, une violente incision de l'ongle sur le pédoncule étoilé. La promesse du délice et de la satisfaction à venir, la clémentine est mise à nue, sans pudeur ni gêne. Elle se donne dans toute sa fraîcheur.
L’écorce malmenée libère des sucs aux parfums enivrants, accordant la place à la grâce et au voyage. C'est l'odeur d'une saison, l'odeur des soirées près du feu dans la chaleur d'un foyer.
Le jugement se prépare, le premier indice résidant dans le bruit de la déchirure. Le fruit est écartelé, séparé, mutilé pour pouvoir mieux être distribué équitablement, « pour les vitamines », n'oublions pas de le rappeler.
L'heure est venue de mordre dans la chair, chacun gardera jalousement sa manière de faire, persuadé qu'elle demeure la meilleure, après de nombreux essais. Certains oseront l'attaque directe, frontale, rapide dans l'idée d'en terminer au plus vite, comme un sacerdoce, une hâtive absorption d'énergie, rendue possible grâce aux molaires solides et consciencieuses.
D'autres au contraire, choisiront la délicatesse, le jeu de la langue autour du quartier, la précision quasi chirurgicale des incisives découpant la peau fine du fruit tant attendu, pour en extraire, dans une explosion de saveurs, la pulpe juteuse et sucrée.
Quelle que soit la méthode, le verdict sera le même, unanimement partagé, sans procès ni recours. La clémentine sera encensée et portée aux nues ou bien dans un silence presque gênant, entre la déception et l'amertume, on ne dira rien, essayant d'oublier rapidement cette mauvaise expérience.
Quoi qu'il en soit, dans l'espoir infini de goûter au délice, le risque sera pris, encore et encore, pour atteindre enfin la perfection du moment.