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Les petites lettres

Les petites lettres

Petites histoires de gens ordinaires et extraordinaires par Odile Lasmarrigues


Deuxième vie

Publié par Odile Lasmarrigues sur 25 Février 2020, 13:29pm

Catégories : #Plus personnel

Deuxième vie

Timide devant le miroir, tu n'oses pas vraiment encore te montrer. Gonflé, tuméfié, troué,.. sur toi encore une vague odeur d’hôpital, une tristesse que les plis de ta chair racontent à demi mot.

Je mets de la distance entre nous, et pourtant tu fais partie de moi, de mon corps, de mon histoire, de mon universalité.

Toi, mon ventre, tu as souffert entre les pinces de ce chirurgien en Italie.

Toi, mon ventre, je t'ai abandonné à leur science, je n'ai pas su veiller sur toi, je n'ai pas su te protéger.

Je m'en veux encore aujourd'hui, mais pourtant, tu m'as en quelque sorte trahi toi aussi.. Je t'avais tout donné pour te préserver d'une troisième grossesse, j'avais laissé ces filaments de cuivre s'entourer autour de tes organes pour ne pas avoir à choisir entre la vie et la mort d'un embryon.

Et pourtant... et pourtant une âme a cherché de l'amour dans cette matrice et tu l'as accueillie là où tu as pu, là où on avait laissé un peu d'espace..

Cette trompe ou bien l'autre, qu'importe, l'endroit devait être chaud.. Des douleurs atroces ont déchiré la nuit et ce sang au bout de mes doigts a donné l'alerte.

Qu’espérais-tu lorsque le test de grossesse a révélé ces deux traits tant redoutés? Oui, on a donné un nom à ce que tu ne voulais certainement pas entendre : grossesse extra-utérine

Les heures dans le service d'urgence se sont éternisées jusqu'à m’endormir dans un lit de maternité. Quelle ironie, ne trouves-tu pas d’être réveillée toute une nuit par des cris de nouveau-nés, s'époumonant pour rendre grâce à la vie?

Toi, mon ventre, tu ne grossiras plus, tu ne te déformeras plus pour accueillir les rondeurs de l'enfance.

Ce petit amas de cellules que tu gardais jalousement dans un replis de ta féminité n'aurait pas pu s'épanouir complètement, il t'aurait déchiré et t'aurait laissé te noyer sous des litres de sang..

Alors, qu'attendais-tu de moi? Comment voulais-tu que je réagisse face à cette violence, face à cette réalité qui m'a explosé en pleine conscience ?

 

Oui, je les ai laissé de prendre ton trésor, et la trompe sur laquelle il était accroché, mais aussi l'autre trompe, parce qu'on n'était pas en France, parce que les lois ne sont pas les mêmes à quelques kilomètres de la frontière, parce que j'avais peur, parce que je me sentais seule, parce que mes hormones devenaient folles et que je ne réalisais pas ce que j’étais sur le point de te faire subir. J'ai signé le papier, j'ai donné ton accord, et le mien. Je ne voulais qu'une chose, partir de cet hôpital au plus vite, faire cesser toutes ces palpations, tous ces examens me réduisant à un simple cas chirurgical.

 

Nous nous sommes réveillés après l’anesthésie, tous les deux, vieux. Comme dépossédés d'une fonction archaïque. A 40 ans, nous nous sommes sentis inutiles.

 

Je te demande pardon mon ventre, j'ai appris bien plus tard que dans notre pays cette pratique est interdite, qu'on laisse un certain délai pour être certain de vouloir pratiquer cet acte irréversible, cette stérilisation définitive. Mais là bas, tout paraissait différent. La langue, le discours du chirurgien, me persuadant que cette opération serait la plus appropriée puisque je ne voulais plus d'enfant, plus de contraception, .. il m'a vendu le rêve de la liberté sexuelle..

Et à quoi bon garder ses trompes lorsqu'on a déjà 40 ans.. La femme réduite à son activité procréatrice.

 

J'aurais voulu lui dire, quand la nuit a laissé la place au jour, que je ne suis pas qu'une mère inachevée, que JE SUIS, tout simplement. JE SUIS dans ma totalité, même si mes organes peuvent prendre leur repos, JE SUIS dans toutes mes contradictions et mes incertitudes et que je me suis sentie volée du choix de ma descendance.

 

Oui, mon ventre, je suis en colère, une colère qui ne peut prendre corps que dans le vide puisque je suis à l'origine de ce choix. Alors on va continuer tous les deux, faire la paix, se cajoler, se toucher et se rendre de la tendresse dont on s'est senti privé dans ce contexte froid et protocolaire.

 

Parce que tu sais, mon ventre, la seule façon de nous relever de cette épreuve c'est de prendre conscience qu'il y a de l'amour dans ce corps de quadragénaire, beaucoup d'amour et de fertilité. Et que dans cette bonne terre qui est mienne, j'ai le droit de faire germer toute sorte de graines, de projets et d'envies pour la seconde partie de ma vie.

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