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Les petites lettres

Les petites lettres

Petites histoires de gens ordinaires et extraordinaires par Odile Lasmarrigues


poings liés

Publié par Odile Lasmarrigues sur 25 Avril 2019, 12:10pm

Catégories : #histoires d'infirmières, #Société

poings liés

   Ce matin, l’embrayage de ma voiture patine, la vitesse ne passe pas, tout est bloqué comme cette situation inextricable qui me ronge depuis des semaines.

 

   Je sens la colère monter en moi, jour après jour, mon corps me lance un appel à l'aide, mon dos se raidit, mes trapèzes se nouent, ma nuque se tend.

 

   A qui la faute? Celle d'un médecin, avec qui nous travaillons, mes collègues et moi, ou bien, peut-être à cause d'un système de santé qui ne fonctionne plus, ou bien alors à cause du nombrilisme dont font preuve les gens. Je ne sais pas... Ce dont je suis certaine, c'est que ce médecin partira à la retraite dans deux mois, qu'il n'est pas remplacé comme ne le sont plus la plupart des généralistes qui déposent leur plaques, et qu'il laisse à la rue plus de 1500 patients.

 

   Malgré tout, je me sens responsable de trouver un remplaçant à mes patients les plus dépendants, avec cette éternelle culpabilité qui m'use chaque jour un peu plus. 

 

   L'espoir d'y arriver, je l'avais bien entendu au début de mes recherches et puis cet espoir est devenu transparent, puis tel un Graal, inatteignable. Les cabinets médicaux aux alentours font les fines bouches certainement, car personne, personne ne prend plus de nouveaux patients pour des visites à domicile. Facilité? Peur de ne pas être assez rentable par perte de temps de transport? Je ne saurai jamais la vérité même si elle transpire à travers les excuses minables que j'ai entendues si souvent à l'autre bout du fil. Des excuses minables auréolées de monologues moralisateurs sur le comportement des gens et le non-respect des grandes figures médicales.

 

   Oui, mais alors, moi, comment dire.... J'en ai rien à faire de leur état d’âme car il ne suffit pas de fermer les yeux pour que le problème disparaisse.

 

   Lorsque fin juin je referai le pilulier de mes patients qui doivent tous avoir entre 93 et 100 ans, et que je n'aurai plus de prescription ni pour le renouvellement des médicaments, ni pour facturer nos soins, alors j’appellerai certainement SOS médecin, qui viendra une fois, deux fois et la troisième me dira qu'il n'est là que pour les intervention urgentes.

 

   Nous en sommes là. Alors, vers qui nous tourner? Oublions de suite une aide de la part du médecin pré- retraité qui se soucie plus de la culture de ses géraniums que de l'avenir de ses malades. Je ne sais pas si légalement les médecins ont le droit de s’asseoir sur l'obligation de continuité ses soins lorsqu'ils cessent leur activité, mais lui ne s'en soucie guère et va jusqu'à garder le secret de son départ jusqu'à la fin pour ne pas être harcelé par ses patients. Oups, moi je l'ai dit..

 

   Que dire aux jeunes médecins pour qu'ils acceptent de s'installer dans des zones difficiles, sachant qu'ils y sacrifieront leur liberté et leurs carrières? Les jeunes veulent être mobiles et ne plus supporter la charge d'un cabinet qui explose de demandes. Je ne peux que les comprendre. Le temps des médecins à l'ancienne est révolu. Les dinosaures eux aussi ont fini par disparaître..

 

   Ils nous reste alors les familles...quelle vaste blague! Les familles de mes patients sont pour la plupart aussi réactives qu'un fumeur d’opium dans le coma.. Je m'emporte, je m'emporte, mais la colère est là et il faut qu'elle sorte.

 

   Certaines familles sont habituées à ce qu'on gère tout autour de nos patients et c'est aussi ce système qui nous y pousse, nous mettant au centre de coordination de tous les intervenants. La généralisation du tiers payant, qui est une avancée intéressante pour les gens, enlève aussi malgré tout la conscience que nos soins sont rémunérés et que nous n'avons plus la cornette des bonnes sœurs depuis près d'un demi siècle, nous rendant corvéable à souhait. Apprenons d'ailleurs aux jeunes infirmiers à mettre des limites dès leurs débuts d'exercice.

 

   De plus, le médecin représente encore dans la tête des gens notre supérieur hiérarchique donc s'il ne trouve personne, ça serait à nous à prendre la suite des recherches.

 

   A force de m'abaisser à quémander aux médecins de venir faire la charité à mes patients à domicile, j'en ai trouvé un. Alors là, faut-il en rire, ou bien faut-il pleurer? Le seul médecin disponible est un homme qui a été jugé pour arnaque à la sécurité sociale , avec amande de 400 000 euros et un sursis d'interdiction d'exercer.. Un médecin addict à la carte vitale, c'est mieux que rien.. mais je n'en suis pas fière…

 

   Les psychologues conseillent de mettre des mots sur les maux, c'est donc ce que j'ai fait. C'est vrai que ça soulage, mais cela n’apporte pas non plus de solution. Les déserts médicaux existent, c'est une catastrophe qui impacte l'avenir de nos seniors et aussi tous les intervenants paramédicaux.

 

   Quelles seront les solutions pour l'avenir? Les transferts de compétences vers les pharmaciens, vers les infirmières, pourquoi pas... mais alors aussi vers les boulangers ou les bouchers puisque les facteurs s'y mettent.. Ou alors plus drôle, les consultations virtuelles. Voilà, j'ai trouvé les cadeaux de Noël que je vais faire à mes patients âgés. Je vais leur offrir un ordinateur, et aussi une formation en ligne.. ça va leur plaire, c'est sûr!

 

   Il y a des jours où j'aimerais bien moi aussi m'occuper de mes géraniums…

 

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