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Les petites lettres

Les petites lettres

Petites histoires de gens ordinaires et extraordinaires par Odile Lasmarrigues


Derrière la porte

Publié par Odile Lasmarrigues sur 10 Mai 2016, 16:01pm

Catégories : #histoires d'infirmières

A quel moment commence la maltraitance ? A quel moment doit-on tirer la sonnette d'alarme ? Cette question je me la suis souvent posée, au détour d'une conversation, après avoir lu un fait divers, après avoir vu un film....Mais concrètement, à quel moment a t-on le devoir de réagir ? A quel moment, en tant que soignant, quand on entre dans l'intimité des gens, quand on respire l'atmosphère lourd des appartements surchauffés, a-t-on ce devoir d’ingérence ? Le devoir de regarder au delà des apparences, au delà des préjugés, le devoir de s’imposer comme garant des règles morales ?

La maltraitance commence-t-elle chez cet homme de 90 ans qui a trop longtemps et trop fortement serré le poignet de son épouse sénile, qui ,une fois de plus, jour après jour, à jeté son repas sur le parquet ? Qui peut prendre son relais quand il n'arrive plus à s'occuper d'elle ? L'usure, la fatigue, l’incompréhension de la maladie, l’énervement, tout cela peut-il avoir plus de poids que la raison ? Comment peut-on quantifier le degrés de violence ? Une fois par mois ? Par semaine ? Par jour ? Je me pose des questions auxquelles je ne trouve pas de réponse. Il n'y a pas de protocole à suivre. C'est au jugé me dira-t-on. C'est un ensemble, un contexte...

Et bien oui, comment juger le contexte ? Comment faire la différence entre de la négligence et de la maltraitance ? Que penser de ce grand père qui garde son petit fils de 4 ans après l’école dans un logement sale, au milieu d'un chien qui urine partout ? Que faire de plus que lui dire qu'il ne doit pas fumer son paquet de gitane devant l'enfant, qu'il faudrait l'emmener au parc plutôt que de le laisser devant des séries américaines, ou devant son téléphone ? N'est-on pas plus dans le domaine de l’éducation ?

Je ne sais pas quel doit être mon rôle dans ces histoires. Quand il y a des coups, des larmes, des cris, de humiliation, les contours sont nets . Mais quand tous ces gens ont l'air malgré tout heureux, que l'on voit de l'amour dans leurs yeux, même s'ils ne vivent pas dans les mêmes réalités que les miennes, comment les juger ? Que mettre en place après les avoir dénoncé? Les médecins et les assistantes sociales n'ont pas plus de réponses que moi...Je ne pense pas que séparer le couple de nonagénaire ni éloigner l'enfant de sa famille soient les solutions les plus réfléchies..

Je ne sais pas quoi penser de ces situations qui ne sont que des exemples parmi tant d'autres. La misère sociale, économique, intellectuelle et culturelle sont certainement le terreau de ces comportements malveillants, mais malgré tout, où est la norme ? N'est-elle pas relative à chacun ?

Ne pas juger. Être là, et accompagner au mieux, avec mes propres limites et ma sensibilité.. C'est tout ce que je peux faire, mais surtout ne pas exclure.

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M
Odile. Je pense à ce livre du peintre Gérard Garouste: "L'intranquille" édité chez L'Iconoclaste. Autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou. <br /> Garouste est un peintre de renom. Il a découvert dans la campagne à côté de son atelier près de Dreux la grande misère sociale. Il a créé La Source, une institution qui reçoit des jeunes de milieu défavorisé et leur fait rencontrer la création. Il s'est donné les moyens et s'est servi de sa notoriété pour réunir des fonds conséquents. <br /> Après, il nous reste des gestes individuels qui nous semblent bien dérisoires. J'aime bien quand tu dis "C'est tout ce que je peux faire". Ce sera au top quand tu diras simplement "c'est ce que j'ai fait". Bises. Marc
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